Fragments d'Innsmouth 2 et 2a

 Note :J'ai scindé le chapitre 2 qui était trop long en deux parties qui s'avèrent trop courtes mais qui supportent mal les ajouts, raison pour laquelle je les posterai toutes deux en l'état aujourd'hui.



                    La matinée passa comme un éclair dès qu'ils se furent mis d'accord sur l'ordre des tâches à accomplir. Chaque vêtement, chaque objet trouva rapidement sa place dans la maison qui avait été isolée, réparée et rénovée durant les trois derniers mois. Pour l'essentiel, on y avait ajouté des placards faits par un menuisier de la vallée d'après les meubles d'origine, un équipement moderne soigneusement camouflé dans la cuisine et un gros poêle finlandais en stéatite, idéal pour maintenir une température agréable dans la maison, même au cœur de l'hiver vosgien qui s'avérait parfois plutôt rude.

Vers onze heures, Catherine jeta à sa chambre un coup d’œil satisfait. Ses vêtements étaient à présent pendus dans le grand placard en chêne et ses pulls, ses t-shirts et ses sous vêtements bien pliés et empilés dans sa commode. Elle avait aussi rangé quelques livres dans la bibliothèque : dictionnaires et grammaires occupaient l'étage moyen afin de rester à portée de la main ; à l'étage supérieur se trouvaient quelques manuels de mythologies variées qu'elle ne se lassait jamais d'étudier ; en bas, elle avait rangé les ouvrages de fiction. Quant à son matériel scolaire, il se trouvait tout naturellement dans le petit meuble qui jouxtait son bureau. Pour finir, juste en dessous de la petite lampe qui se trouvait sur son bureau, elle avait déposé solennellement un vieux livre broché à la couverture fatiguée : Moby Dick, d'Hermann Melville, en Anglais dans le texte. C'était le roman préféré de sa mère et elle l'ouvrait régulièrement, attendant impatiemment d'être enfin prête à lire la prose complexe de cet auteur.

Quand elle retrouva son père au rez de chaussée, ce dernier était en train d'ouvrir des cartons de nourriture. Après un bref conciliabule, ils remplirent leurs placards respectifs avec les aliments qui leur étaient destinés. Pâtes, riz, céréales, boites de conserve ou épices trouvèrent ainsi leur place dans la cuisine.

Ils déjeunèrent rapidement d'un plat de hachis parmentier tiré du congélateur et réchauffé au micro-ondes puis s'attribuèrent un après-midi de repos et de promenade, la famille ne devant passer les voir qu'en fin de soirée ; ils enfilèrent donc des vêtements appropriés et leurs chaussures de marche avant de faire le tour de leur propriété puis de prendre le chemin des sommets pour admirer la vue qu'ils offraient sur la vallée de la Tille.

Sans être à l'abandon, le jardin potager qui se trouvait derrière la maison était en bien piteux état et allait sans doute rester ainsi quelques temps ; sans les piques et les rappels à l'ordre de son épouse, Bruno allait sans doute avoir bien du mal à lui prodiguer toute l'attention nécessaire à un tel lieu. Heureusement, les membres de la famille qui s'étaient occupés de la maison avaient tout de même arraché les mauvaises herbes et taillé la végétation envahissante.

De là, ils rejoignirent la petite cascade qui passait un peu plus haut à une vingtaine de mètres à droite de la maison et remontèrent son cours en suivant le sentier qui menait à sa source. C'était un bac naturel creusé dans la pierre dont l'eau débordait en toutes saisons ; on distinguait sous sa surface une sorte de puits noir qui semblait mener tout droit aux entrailles de la terre. Catherine prit un morceau d'écorce sur le sol et le posa sur le rebord de la vasque, s'amusant de le voir vaciller avant de basculer puis d'être entraîné par le courant de la petite cascade qui se jetait dans la Tille qui courait au creux de la vallée. Poursuivrait-il sa course jusqu'à la Moselle ? Non, sans doute, mais cette idée lui plaisait. Elle imaginait sa longue traversée jusqu'au Rhin puis dans la Mer du Nord, là-bas, loin, en Hollande puis vers l'ailleurs, toujours plus loin, peut-être même vers l'Amérique... Enfin, elle se redressa et rejoignit son père qui l'attendait à quelques pas de là.

L’ascension dura un peu plus d'une heure ; enfin les deux marcheurs silencieux parvinrent au sommet du petit mont et allèrent jusqu'au point de vue qui dominait la vallée de la Tille.

Tout en bas, à quelques kilomètres, se tenait le village de Chênesay où son père allait travailler. Un peu au dessus de lui, sur l'autre versant, s'élevaient les tours harmonieuses du collège Sainte Clotilde que Catherine allait intégrer dès la rentrée. Elle attendait ce moment avec une angoisse mêlée de désir : elle aimait apprendre et elle espérait qu'elle parviendrait à s'entendre avec les autres élèves mais dans le cas contraire...

Elle fit un quart de tour pour ne plus voir ce lieu et contempla les arbres qui ornaient les pentes formant la vallée. Dans l'océan vert sombre des épineux se détachaient les mers vert clair des feuillus qui semblaient luire sous le soleil, tels des phares dans un océan menaçant.

Ils s'assirent sur une large souche puis son père lui tendit une bouteille d'eau qu'il venait de prendre dans son sac. Catherine en savoura chaque gorgée, buvant lentement d'abord pour étancher sa soif puis pour le plaisir de sentir le liquide frais s'écouler dans sa gorge.

-Alors, qu'en penses-tu ? Tu vas te plaire ici ?

-Oui. Enfin, je crois. Plus qu'à Nancy, en tout cas.

Un pauvre sourire se dessina sur les lèvres de son père qui caressa machinalement la barbe blonde qui tapissait ses joues. Il s'affirma peu à peu et atteignit ses yeux bleu-clair. Comme par magie, les rides qui les encadraient depuis la mort de sa femme s'estompèrent et semblèrent même s'effacer sous le coup d'une joie profonde. Un chaud contentement envahit Catherine et elle se rapprocha de lui pour lui rendre la bouteille.

Ils restèrent là quelques temps, bavardant tranquillement, le regard perdu dans les profondeurs de la vallée. Un peu plus tard, son père donna le signal du départ : il leur restait un peu de rangement à faire avant l'arrivée des grands parents de Catherine.


_________


-J'aimerais bien revenir sur certains points de ton rêve.

Catherine regarda la psychiatre puis s'absorba dans la contemplation de ses propres mains.

-Lesquels ?

-Est-ce que tu te vois ? As-tu un corps dans ces rêves ?

-Je vous ai dit que je sentais le froid de l'eau, non ? Vous croyez qu'on peut sentir la température qu'il fait sans corps ?

Oups ! Il fallait décidément marcher sur des œufs avec cette enfant à l'intelligence redoutable, d'autant que son dossier indiquait qu'elle avait été plus souvent interrogée qu'un quelconque repris de justice.

-Non, tu as raison. Mais ce corps, est-ce que tu l'as vu à un moment quelconque ?

-Pas vraiment, puisque je suis dedans. C'est le mien mais...

-Oui ?

-En fait, je vois mes seins. J'en ai dans ces rêves.

-Ah oui ? La psychiatre eut un sourire satisfait, comme si elle se retrouvait soudain en terrain connu.

-Est-ce que les gens qui sont autour de toi te regardent ?

-Je ne sais pas trop. Je ne les vois pas vraiment. Mais c'est vrai que je crois qu'ils m'entourent.

-Qu'ils t'entourent, dis-tu ? Comment cela ?

-Ils suivent tous mes mouvements. Ils descendent en même temps que moi, s'arrêtent quand je m'arrête. Ils ne se rapprochent jamais de moi mais ils font tout comme moi.

-Encore une question. Comment sais-tu qu'ils sont bizarres si tu les vois mal ?

-C'est leurs silhouettes. Leurs bras et leurs jambes ne sont pas normaux. Ils sont trop larges. Et aussi trop longs, comme leurs mains dont on ne voit même pas les doigts. Et puis la forme de leur tête. Elle est bizarre, elle aussi. Comme s'ils avaient un museau au lieu d'une bouche.

Tandis qu'elle parlait, la psychiatre notait la tension qui avait envahi son visage tandis que ses mains se crispaient. Elle était en train de se refermer sur elle-même, d'enfermer un non-dit, voire un non-pensé. Elle referma son carnet.

-Et si tu me parlais de ta nouvelle vie à Chênesay ? Tout se passe bien ?



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